C'est la deuxième question qui vous amène à Bhagsu. Vous ne connaissiez pas ce lieu, c'est la nature vous y a amené.
Dans la matinée du jour 135, vous avez empaqueté vos affaires, dans vos deux sacs. Vous arrangez ce qui est petit et lourd dans votre plus gros sac, qui n'est pas tant un fardeau à porter une fois sur votre dos, et gardez ce qui est léger pour le plus petit sac que vous gardez devant, pour le sentir le moins possible et éviter les maux d'épaules. Le tout fait peut-être 15kg. Vous réglez à la réception et commencez le trajet globalement tout droit vers la montagne, que vous aviez un peu repéré le jour 134, avant de choisir de prendre toutes vos affaires.
Le début est une montée assez abrupte. Vous la finissez après 10 minutes et retrouvez le marchand de fruits du repérage de la veille. Ses fruits sont bons, et fonctionnent en tant qu'apports énergétiques. Vous lui prenez 10 bananes ; vous voilà avec un troisième petit sac à la main. Vous en prenez déjà une, pour essayer de vous rendre compte de leur effet.
Vous redescendez de l'autre côté, dans un petit coin tout aussi touristique, Dharamkot. Vous arrivez rapidement de l'autre côté de Dharamkot, où la vraie ascension commence.
Vous marchez. Vous essayez de garder le rythme et de limiter les interactions qui vous ralentissent. Vous demandez une fois votre chemin.
Vous prenez une autre banane. Pas vraiment d'effets ressentis jusque là avec la première ; vous sentez cependant que le dîner de la veille vous sert bien.
À un moment dans la montée cependant, au sein de la forêt, vous pensez sentir l'effet des bananes : un boost en énergie qui facilite la montée. Cool, vous avez bien fait d'en prendre.
Plus haut, vous retrouvez un peu de civilisation, et vous remplissez vos deux litres d'eau avec un flux gratuit d'eau potable, comme il semble en exister pas mal en Inde ; du moins dans le nord, dans les endroits reculés. Très important, l'eau, à vos yeux.
Vous reenfiileez vos sacs et repartez monter. Quelqu'un cherche à vous faire payer 100 rupees pour continuer. Ça vous étonne d'avoir à payer pour marcher ici. Vous vous dites que c'est une arnaque (du moins vous l'espérez), et vous l'ignorez après votre discussion rapide. Mais il vous rappelle ; et après tout, il a un uniforme. D'autres personnes, indiennes (ce qui ne veut pas dire qu'elles ne sont pas des touristes) arrivent, et elles doivent aussi payer. De plus en plus, vous êtes sûr que ce n'est pas une arnaque ; sinon elle serait très bien préparée. Mais comme tout ici, ça se négocie. Les Indiens, après négociation, paient peut-être la moitié du prix demandé. Après quelques minutes, l'homme en uniforme vous voyant attendre là, bloqué comme un automate pas programmé pour payer, vous appelle et vous dit d'y aller gratuitement. Merci.
Cette fois, c'est vraiment reparti pour marcher.
Mais une randonnée doit être assez ennuyeux à lire. En tout cas, c'était cool à vivre. Voici tout de même quelques détails importants.
Après 30 minutes sur le trail, vous vous rendez compte que vous avez oublié votre sac de bananes à l'entrée du trail, où vous avez rempli vos bouteilles d'eau. Sans les bananes, vous savez que vous galèrerez plus, mais que vous pouvez finir malgré tout. Pas de demi-tour, donc.
À partir d'un moment de difficulté, vous n'avez pas cessé de vous dire "Tant que je monte, c'est bon signe", ce qui vous motivait à continuer à marcher pour arriver plus certainement en haut avant la nuit, et à prendre le chemin qui monte quand un choix se présente, entre deux sentiers qui se séparent.
Une autre motivation à continuer à marcher, c'est qu'ils vous était bien plus dur d'enlever vos sacs, de vous poser un peu, de les remettre, et de recommencer à marcher, que de marcher encore un peu, puis marcher un autre peu, et continuer de marcher marcher marcher. Les jambes se reposent sur le plat et les montées légères.
Sur le chemin de randonnée, vous avez peut-être croisé 40 personnes. Et peut-être 50 chèvres. Vous n'avez pas vraiment observé la végétation ; vous regardiez où vous marchiez. Vous étiez en mode machine de marche, et vous évitiez de réfléchir.
Après la moitié du chemin, un panneau avec des mots croisés. Non, pas la force.
La fin est plus difficile : il commence à faire frais, un peu le frais de la fin d'après-midi, et surtout celui de l'altitude. Mais après une pause pour enlever un peu la sueur accumulée de votre T-shirt coincé entre vos deux sacs, qui vous donne particulièrement froid, vous gardez simplement votre T-shirt et votre short jusqu'à la fin. Aussi, tout près de la fin, vous ressentez le manque d'oxygène. Voir la fin du parcours vous affaiblit aussi directement ; ou peut-être plutôt, votre cerveau vous laisse ressentir que vous êtes faible. Allez, il est temps de se poser.
Tout près de la fin, votre cœur bat à mille à l'heure (enfin, plutôt autour de 180 à la minute) ; d'où les pauses plus régulières. Parfois, quand vous mangez trop, vous sentez votre cœur galérer à battre normalement, comme s'il était serré entre des masses physiques voisines, ou comme dans un éther de graisse trop dense pour lui ; ici, vous le sentez en pleine forme, battre comme s'il était seul dans l'univers, comme entouré d'air léger et frais, comme en train de courir à fond sur le sentier à votre place, tout léger. C'est très agréable, quand vous reprenez votre souffle. Vous vous sentez très bien à l'arrivée (et très fatigué, bien sûr).
Au final, après tout de même quelques pauses, surtout vers la fin, vous arrivez en haut ; environ 6 heures après votre départ. On n'est pas réellement tout en haut de cette montagne, mais c'est là que se trouve un camp, peut-être le seul ; en tout cas, tout le monde s'arrête ici, et les panneaux d'arrivée vous font dire qu'il n'y pas pas grand-chose derrière. Vous êtes à 2900m d'altitude.
Comme vous n'avez eu que 3 bananes de la journée, vous prenez des nouilles pour attendre le repas du soir. C'est 100 rupees pour pas grand-chose, mais ici tout est cher, vu qu'il n'y a pas vraiment de concurrence en haut de la montagne, tout comme aux arrêts sur le trajet. Ce mini-bol de nouilles vous réchauffe grandement.
Vous pouvez rester ici pour la nuit dans une chambre partagée pour 1000 rupees, avec inclus le dîner (Riz+Dal) où on peut se resservir tant qu'on a faim, et un petit-déjeuner pour le lendemain.
Vous auriez aussi pu prendre une tente, mais pour 200 rupees de plus, vous avez préféré la tranquilité d'avoir des murs et un toit. Un tibétain (pas mal de tibétains par ici, c'est le lieu d'exil du Tibet) préfère redescendre la montagne, voyant le temps.
Après une sieste affamée et affamé, vous prenez le dîner. 4 grandes assiettes généreusement remplies. Les Israëliens avec qui vous mangez sont étonnés de tout ce que vous mangez.
Il y a en effet énormément d'Israëliens ici ; en Inde en général apparemment, mais ici en particulier, il vous semble. Outre les Indiens, ils sont l'entièreté des voyageurs que vous voyez en haut. Et ce n'est pas un seul groupe, ils sont au moins 4 groupe différents. Le lendemain aussi, les nouveau arrivants étrangers seront exclusivement Israëliens ; on reconnaît facilement leurs chants hébreux. L'hébreux d'aujourd'hui est similaire à celui des textes sacrés, mais les mots ont beaucoup évolué.
Avec un autre groupe en fin de repas, autour d'un feu de camp dont la fumée vous irrite les yeux, un chef boulanger du Punjab vous conseille de continuer à manger tant que vous le pouvez. De votre expérience, c'est à éviter. Vous préférez risquer d'avoir un peu moins de force demain que risquer d'avoir à vous arrêter avant de trouver des toilettes (ici c'est dehors sur l'herbe) en plus de gâcher votre légèreté de cœur pour la nuit ; vous vous arrêtez là.
L'Himachal Pradesh est réputé pour avoir des drogues naturelles pures, de qualité. On vous en propose. Pour beaucoup, vous êtes un extraterrestre, sans hasch et sans alcool.
Vers 22h, vous allez vous coucher, toujours comme une machine qui a juste besoin de repos.
Aujourd'hui, jour 138, vous allez changer de lieu où dormir. L'écriture s'arrête donc ici. Pas de relecture non plus.